PARADOXE DU PARFUMEUR

Introduction au Livre « Aux Sources du Parfum »

Depuis toujours, je ne sais si je suis plus animée par une volonté de comprendre le monde ou simplement l’observer, le contempler et me laisser porter. Si je me retourne sur mon épaule pour scruter le passé, je m’aperçois que j’ai toujours aimé cela, « osciller entre deux » ; entre raison et sentiments, légèreté et pesanteur ; discipline et volupté… 

Au sujet de ma carrière, je dois dire que j’ai eu de la chance de me faire une place dans le parfum car dans cette discipline, je trouve encore matière à osciller; le parfum vit entre plusieurs univers, entre science et art, rigueur et fantaisie, entre sens et sensibilité. Le parfum s’épanouit harmonieusement dans le paradoxe.

Créer des parfums, c’est réfléchir à de complexes architectures pour finalement ne plus penser, juste sentir ou plutôt ressentir. Dans l’art du parfum, on apprend des règles, on construit des systèmes, on s’appuie sur des principes, des repères pour finalement s’apercevoir de la nécessité de dépasser ces mêmes principes, s’affranchir de ses propres repères. Evoluer dans le monde du paradoxe avait toutes les raisons de me combler, et pourtant, la encore, j’ai trouvé le moyen d’hésiter entre deux attitudes, deux postures : Etre celle qui crée et celle qui observe les autres créer ; ma vie se déroule ainsi « être dedans » et « hors » du métier, être le parfumeur et être celui qui transmet le métier, qui s’observe passer le relais.

Tout se passe comme si animée d’une forme d’urgence, peut être due au sentiment de brièveté de la vie, je voulais tout comprendre, tout englober, tout savoir et me presser de le transmettre avant de disparaitre. Construire des théories n’est pas mon fort; ce livre ne saurait donc être autre chose qu’un essai. Il est tout juste le fruit d’observations, de réflexions que j’ai tenté d’organiser. J’espère tout au plus soulever quelques questions, proposer des réponses, des esquisses de réponses. Ecrit comme un roman, ce livre est un peu le miroir que j’ai promené le long des chemins parce que j’aime me promener, écouter, me faire une idée, converser sur un art que je pratique et que je tente de mettre en forme dans des cours. Cet exercice est un défi car l’art du parfum est un des plus difficiles à transmettre.

L’olfaction est le sens le plus irrationnel qui soit, le plus animal. Paradoxalement et heureusement, il est aussi celui de la mémoire, du langage, de la vision, de la musique, du touché… Car lorsque je sens, c’est une image que je mémorise, un sentiment, un gout … tout sauf un parfum. Ce sens se sert des autres sens pour trouver ses repères. Et cet art se sert des autres arts pour se décrire.

Je dédis donc ce livre sur le parfum… à la peinture de Nicolas Poussin dont les mots : »Vous ne saurez que ce que vous sentez »… feront toujours écho en moi. Je dédis ce livre à la musique de Bach qui m’a fait comprendre le sens du mot « variations » en parfum. à Milan Kundera, musicien et écrivain, sans lequel je n’aurais jamais écrit ce livre, au génie de sa pensée philosophique et à son humour… Et enfin, à Matisse et à ses mots «Quand je suis au travail je n’essaye jamais de penser, seulement de sentir»…

0 commentaires

Soumettre un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *